Ancres de la Marine de Loire/ Une a été retrouvée à Roanne, Loire.
Ajouté le
28 octobre 2017
Mise à jour
22 janvier 2018
Les ancres trouvées assez fréquemment dans les sables de la Loire et de l’Allier, sont à peu près toutes identiques (forme et dimensions).
Une ancre a été repêchée à Roanne en 2011, lors de la construction de la microcentrale hydroélectrique, située en aval du barrage de navigation, donc du « Linquet ». Ce dernier assure l’alimentation du canal de Roanne à Digoin, mis en service en 1838, puis du latéral à la Loire jusqu’au Bec d’Allier.
Cette portion de la Loire était empruntée par les « rambertes » (sapines) pour assurer principalement le transport du charbon stéphanois vers Paris et Nantes et aussi par les « roannaises ». Cette ancre a peut-être été perdue par l’une d’elles. Pour Anthony Chatton il s’agit, à priori, d’une ancre de chaland (à la vue de sa taille) datant probablement de la fin du 19e siècle. Le Directeur-adjoint du Musée de la Marine de Loire fait observer la présence d’un reste d’anneau (« cincinelle ») au niveau de la pointe, ce qui corrobore l’origine ligérienne. Elle est très abîmée, déformée, un bras cassé et le jas manque. Le Musée de Châteauneuf-sur-Loire, en possède plusieurs exemplaires.
ANCRES
où étaient-elles fabriquées ?
Dans un premier temps il est logique de penser que chacune de ces ancres ait pu être conçue par un artisan, près du chantier construisant le bateau. Ensuite les choses évoluant, des petites séries ont dû être mises en route. Il est évident que les lieux de construction des bords de Loire situés à partir de Roanne en aval et les plus près de cette ville en amont, ont été les plus avantagés : ce fut certainement le cas de Cosne-sur- Loire. On sait que les forges de cette ville, reprises à partir de 1735 par Babaud de la Chaussade, fabriquaient des ancres importantes pour la Royale. En parallèle ces forges devaient certainement produire des petites ancres pour la batellerie de la Loire et de la Seine, surtout depuis le percement du canal de Briare, et pour tous les affluents et canaux liés à ces fleuves.
A partir de 1705, St-Rambert supplante Roanne en tant que point de départ de la navigation avec sa «ramberte». Une nouvelle concurrence, faible au début mais s’intensifiant rapidement, serait apparue : celle de la région de St-Etienne. Dans toute cette région il y avait, avant l’implantation de la grosse métallurgie, une foule de petits artisans-paysans souvent installés le long des rivières descendant du Mont Pilat et des Monts du Forez. En plus de l’eau, ils profitaient du charbon du bassin de la Loire, des meules en grès extraites et façonnées près de Roche-la-Molière par exemple (page 40). On fabriquait donc des armes et de la quincaillerie à St-Etienne, des pièces forgées importantes à St-Chamond et à Rive-de-Gier, des clous dans la vallée de l’Ondaine, des serrures dans les Monts du Forez, et jusqu’au début du département de la Haute-Loire, des faux à Pont-Salomon... et pourquoi pas des ancres pour la batellerie de St-Rambert.
- Des cordiers : Pierre PEIGNET (le bien-nommé) et son oncle Etienne REYNARD originaires de Roanne, pour le façonnage de la corde (page 30). Il y avait en plus à Sury-le-Comtal (petite ville à une quinzaine de kilomètres de St-Rambert) une culture de chanvre et des cordiers. Toutefois la production de cordes pour les « rambertes » n’avait pas la même importance que celle destinée aux bateaux de l’océan.
- Des taillandiers : Pierre MAISONNEUVE taillandier (le seul ayant cette appellation localement et un de mes ancêtres 1690-1780), est fils de forgeron-taillandier de St-Maurice-en-Gourgois. Il est venu à St-Rambert probablement vers 1710 pour le façonnage de la ferrure des bâtons et peut-être celui de l’ancre (page 30). Un de ses frères André (1684-1735) continue à St-Maurice maître-forgeur, un autre Louis (1685- 1746) forgeur à St-Marcellin, un autre encore Pierre (1696-1743) maréchal-ferrant à St-Jean-Soleymieux et enfin le dernier Antoine (1700-) se marie à Aurec en 1729 et demeure à Ouillas, hameau de cette commune, réputé pour sa fabrication de clous (les titres professionnels et dates ont été relevés sur les registres paroissiaux). Le plus loin de ces villages est à 20 km maxi de St-Rambert. Ensuite ses fils Louis (1730- 1803) et Pierre (né en 1734) seront à St-Rambert et à St-Just maréchaux-ferrants, ils devaient travailler avec lui et ont dû lui succéder. Il y avait d’autres maréchaux-ferrants-charrons localement certainement occupés à ferrer les nombreux animaux de trait ou à réparer le matériel dégradé par un trafic intense.
A l’apogée de la batellerie, il se serait fabriqué à St-Rambert autour de 4.000 « rambertes » par an. Les taillandiers locaux ou maréchaux-ferrants ne pouvant abonder pour fabriquer les « assimilages », d’autres artisans de la région, notamment de St- Etienne, ont dû intervenir massivement.
On peut en déduire qu’il existait alors dans cette ville, dans la première moitié du XIX° siècle, de nombreux ferronniers de talent. Par la suite, au début du XX° siècle, ils restaient nombreux. Il existait aussi deux importantes fabriques d’objets métalliques notamment liés à la bicyclette - jantes, pédales, pédaliers, roues libres. Elles totalisaient à elles deux huit cents ouvriers environ sur une population d’un peu plus de deux mille habitants à cette époque.
- toutes en haut, une bêche et une faux ; une autre a de plus une équerre-compas entrelacés et la dernière, à la place de cette équerre-compas, une étoile.
- au centre, un cœur ou une étoile, un masque ou encore un rond.
A l’une de ces croix 3 cœurs sont accrochés. La date du décès (milieu du XIX siècle), le nom du décédé et l’âge sont indiqués. La recherche des décès aux archives départementales n’a donné aucune information : métier non indiqué ou non significatif - rentier, propriétaire.
La septième est décorée en haut de clous associés à une plaque I.N.R.I, au centre une tête de Christ et en bas une lanterne et un marteau-tenaille entrelacés. Il n’y a pas d’ancre.
Tous ces symboles vus sur ces croix auraient pu avoir un lien avec :
- d’une part, l’ancre avec des tombes de mariniers de Loire : ce qui ne paraît pas très vraisemblable, Sury-le-Comtal étant situé à une dizaine de kilomètres du fleuve.
- d’autre part, tous ces outils et instruments avec des taillandiers-paysans (ancre, lanterne, clous, tenaille et marteau fabriqués et fournis pour réaliser « des assimilages », bêche et faux pour la ferme, équerre et compas pour réaliser les figures géométriques) : ce qui paraît plausible d’autant plus qu’après avoir fourni la corde à la batellerie (page 30), Sury-le-Comtal aurait pu fournir un article complémentaire : l’ancre.
Tous ces symboles vus sur ces croix auraient pu avoir d'autres lien :
- avec la mort : la faux (la faucheuse) ?
- avec le christianisme : l’ancre, dans la lettre aux Hébreux on parle « d’ancre de notre âme; elle est sure et solide, pénètre àtravers le rideau du temple céleste jusque dans le sanctuaire intérieur » ? - la lanterne avec la flamme, la lumière ? - l’étoile avec les cieux, les rois-mages ?
- avec la franc-maçonnerie : l’équerre-compas entrelaces ?
Il semblerait donc, qu’à travers ces trois derniers liens, on s’éloigne de plus en plus de la réalité ; par contre le marteau, la tenaille et les clous sont lies assurément aux taillandiers-ferronniers-maréchaux-ferrants et la bêche aux paysans-vignerons.
- celle de Tristan DUCHE franc-maçon notoire. Parmi les décorations maçonniques de ce monument il y a un compas.
- celle de Jean MOLETTE compagnon menuisier du devoir : le symbole équerre-compas entrelacés décorant cette tombe est associé à une citation chrétienne.
Si l’on admet que toute « ramberte » soit partie équipée d’une ancre, tout porte à croire en une fabrication importante de cet outil, à partir de St-Rambert et étendue à toute la région stéphanoise. Cette fabrication étant artisanale et donc géographiquement très diversifiée, il sera bien difficile d’aller plus loin dans la recherche pour cibler la ou les communes où auraient exercé ces taillandiers. Il semblerait que Sury-le-Comtal soit la seule ville possédant des traces.
Ainsi après les richesses naturelles du charbon et du bois, le bassin de St-Etienne aidé par la Loire et peut-être de son affluent principal l’Allier, avec leurs batelleries, aurait profité, pour son industrie métallurgique naissante (par exemple l’outillage), d’un autre débouché : la fabrication des outils de « l’assimilage » de sapines et notamment de la majorité des ancres équipant les marines fluviales de France.
Jean LAVIGNE
Membre de l’Association les Amis de St Just-St Rambert
Auteur de la “Batellerie en Loire haute”
paru en 2016.
Avec le soutien
du Liger club de Roanne
La Rivoire, 5, allée des Terriers